Décryptage: écriture inclusive !

Par Maylis Robben

Durant le XVIIe siècle, les grammairiens de l’Académie Française ont décidé de supprimer le genre féminin pour montrer la supériorité de l’homme ainsi que rendre plus noble la langue française. Quatre siècles plus tard, dans une volonté de faire avancer le combat féministe, les militants se penchent sur cette décision et proposent d’instaurer l’écriture inclusive. Mais qu’est- ce que l’écriture inclusive concrètement ? C’est ce qu’on appelle « le langage non sexiste », c’est- à-dire un usage de la langue française non genré (ni masculin ni féminin, mais neutre) qui évite toute discrimination sexiste. Cette manière d’écrire inclut, par définition, tout le monde : les hommes, les femmes ainsi que les personnes qui ne définissent pas leur genre, appelées les non-binaires. L’écriture inclusive se veut aussi de montrer davantage la femme dans la société. Pour ce faire, plusieurs plans d’action, controversés ou non, sont proposés.

Sur le plan lexical, il y a une demande de féminiser les noms de métiers. Cette dernière est motivée par le souhait de l’inclusion du sexe féminin et sa représentation dans tout métier. Le terme « boulanger » est devenu « boulangère », au féminin, parce que des femmes ont commencé à faire ce métier. Féminiser les métiers est plus judicieux lorsque le sujet de la phrase est du genre féminin. D’ailleurs, le moniteur belge a publié le 26 novembre 2021 le décret du 14 octobre 2021 relatif au renforcement de la féminisation des noms de métier, fonction, grade ou titre et aux bonnes pratiques non discriminatoires quant au genre dans le cadre des communications officielles ou formelles.

Aussi, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a proposé l’utilisation du point médian pour pratiquer au mieux l’écriture inclusive. Pour rappel, le point médian se situe au- dessus de la ligne de base et est employé à la fin du radical d’un terme lorsque l’on veut représenter la partie féminine dans l’ensemble désigné. Par exemple, pour citer l’entièreté des ingénieurs à la fois masculins et féminins à l’écrit, ce sera « les ingénieures ».

Bien qu’utilisée depuis plusieurs années, cette proposition graphique est énormément débattue. Le problème de l’illisibilité causé par l’emploi du point médian qui allongerait les termes est pointé du doigt. Ainsi, la phrase, telle qu’écrite sans appliquer l’écriture inclusive, « Ces docteurs sont très fiers d’aider les séniors. » va devenir en utilisant les points médians « Ces docteures sont très fieres d’aider les séniores. ». L’académie Royale de langue et de littérature françaises de Belgique dénonce également les difficultés que peuvent rencontrer les personnes souffrant d’un handicap, telles que les dyslexiques, ainsi que les enfants qui apprennent la langue française, déjà assez complexe.

Deux réformes de la langue sont intéressantes à analyser et à appliquer plus couramment : l’habitude d’employer des mots épicènes et des termes collectifs, ainsi que l’accord de proximité. Un mot épicène est un mot identique au masculin et au féminin, comme « adulte », « artiste », « partenaire », etc. Dans le même style, les termes (ou noms) collectifs sont des termes qui désignent un ensemble et peut être suivi, ou non, d’un complément. Dans ce cas, plutôt que d’utiliser « ces étudiants » l’expression « ce groupe d’étudiants » sera privilégiée. Ces pratiques semblent plus digestes que l’utilisation du point médian pour les personnes ayant des troubles dys, pour les plus jeunes et pour les apprenants.

De plus, même si cette révision grammaticale va demander un long moment d’adaptation au niveau des mentalités et des habitudes bien ancrées, appliquer l’accord de proximité ne parait pas absurde. L’idée est de laisser tomber l’accord selon le masculin – qui l’emporte sur le féminin – pour accorder en fonction du genre de la proposition la plus proche de l’adjectif qu’il qualifie, dit l’accord de proximité. De là, on ne dira plus « les garçons et les filles sont grands » mais « les garçons et les filles sont grandes » puisque les filles est le plus proche de l’adjectif grand, et inversement « les filles et les garçons sont grands ». Cet accord de proximité se présente comme plus logique pour les enfants que la règle grammaticale apparue au XVIIe siècle.


Comme dit précédemment, l’écriture inclusive représente aussi les personnes non-binaires, qui ne revendiquent pas leur genre. C’est alors qu’au début des années 2010 le pronom « iel » apparait, contraction de « il » et de « elle » et traduit à they en anglais. De même, ce pronom nomme un groupe d’hommes et de femmes, mais également une personne dont le genre est inconnu. Voici, pour éclairer, trois exemples de phrases dans lesquelles iel est utilisé :

– « iel vient au cinéma ce soir » où iel fait référence à une personne non-binaire ;
– « iels iront au restaurant pour Noël » iels, alors employé au pluriel, fait référence à un groupe d’hommes et de femmes ;
– « iel viendra se présenter pour la première fois lundi » là, enfin, le genre de la personne n’est pas connu.

Depuis le 15 septembre 2021 le pronom « iel » est entré dans le dictionnaire en ligne du Robert et est définit comme « Pronom personnel sujet de la troisième personne du singulier et du pluriel, employé pour évoquer une personne quel que soit son genre. L’usage du pronom iel dans la communication inclusive. – REM. ON ÉCRIT AUSSI ielle , ielles » (Le Robert en ligne, s.d.). Cette entrée au dictionnaire fait évidemment débat. Pourtant, la langue française ne cesse d’évoluer et les dictionnaires s’adaptent. En d’autres termes, c’est parce que « iel » est utilisé, bien que de manière encore marginale, comme le précise Charles Bimbet, directeur général du Robert, qu’il est reconnu et mis au dictionnaire.

Ce qui semble crisper le plus avec ce pronom neutre est la question de son accord grammatical. Quelle règle appliquer ? Garder l’accord au masculin, tout féminiser ou, appliquer la règle du point médian ? La grammaire française est déjà bien complexe et profondément liée au genre, l’emploi de ce pronom neutre ne fera que la complexifier davantage ou, au contraire, la rendre plus facile. En effet, pour les apprenants il serait plus aisé d’avoir un seul pronom pour désigner à la fois le masculin et le féminin afin de faciliter l’usage de ces normes.

Par ces différentes réformes de la langue, le mouvement féministe veut une société plus représentative et égalitaire. Néanmoins, la langue française est, depuis toujours, attachée au genre, et la changer prendra des années, voire plus. Pour rappel, toutes les normes grammaticales considérées comme sexistes ont été mises en place depuis plusieurs siècles où les mentalités, nommément la place de la femme, furent très différentes par rapport à la société actuelle. Est-ce vraiment par l’écriture que le combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes arrivera à ses fins ? Ou la langue n’est qu’un des moyens par lesquels la femme peut regagner sa représentativité perdue au XVIIsiècle ? Mis en parallèle, dans les pays anglophones – où l’anglais est nettement moins lié au genre grammaticalement – les inégalités sexistes sont pourtant bel et bien présentes.


Sources: 

https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/11/05/l-ecriture-inclusive-ou-la-longue-quete-d-une-langue-egalitaire_6101010_3232.html 

https://www.lapresse.ca/arts/litterature/2021-01-10/langage-epicene/s-exprimer-sans-genres.php