Féminisme, genre, identité: rencontre avec Petra De Sutter

De nos jours, il y a très peu de place dans l’éducation nationale pour les sujets relatifs aux LGBTQIA+, ce qui engendre un malaise pour ceux qui se chercheraient encore ou qui n’arrivent pas à se comprendre, pensez-vous que c’est pertinent d’introduire ces notions à l’école, en début de secondaire par exemple ? Certains se disent que cela pourrait influencer, qu’en pensez-vous? Comment être plus inclusif afin que personne ne se sente rejeté ?   

 

Petra De Sutter : 

C’est sûr que l’éducation joue un rôle dans ce domaine, que ce soit dans l’entourage de l’enfant, à la maison ou à l’école.  

Dans l’enseignement néerlandophone, en secondaire, il a récemment été inclus que l’on doit prêter attention à la diversité sexuelle et de genre.  C’est une étape importante.

En même temps, sur le terrain, on constate que certaines écoles accordent déjà beaucoup d’attention à la diversité sexuelle et de genre, quand d’autres le font beaucoup moins… En fait, il faut se dire qu’il y a le cadre sociétal, mais il y a aussi le cœur des gens d’autre part. 

En légiférant par exemple, on peut influencer la mentalité des gens, mais ce qu’ils ont dans le cœur, c’est autre chose… Quoi qu’il en soit, nous devons tous faire barrage contre la discrimination et la haine à la maison, à l’école, partout. Même en politique. 

C’est un combat de tous les jours. 

 

Pensez-vous que l’éducation a un rôle à jouer dans le changement de mentalité ?  

 

Bien sûr! 

 

Tout cela est lié aux aspects culturels, qui conditionnent la vie de tout un chacun. Les médias jouent aussi un rôle important dans ce domaine, par exemple. 

Vous savez, moi-même, j’ai reçu une éducation très classique, et j’ai suivi un enseignement fermé sur ces questions. C’est donc quelque chose qui m’a personnellement marquée. Il y a beaucoup d’idées préconçues dans ce domaine. 

 

On peut prendre l’exemple du genre. 

Et cette idée par exemple que “le bleu c’est pour les garçons, le rose pour les filles”.  Il y a des métiers qui sont plus associés aux filles, d’autres aux garçons également. Il s’agit de constructions sociales fortes et parfois inconscientes, presque subliminales. Quand j’étais professeure, il y avait davantage d’hommes que de femmes qui frappaient à ma porte avec un projet de doctorat. Les étudiantes femmes, je devais aller les chercher, les repérer. Nous devons soutenir les femmes et leur dire : croyez en vous et franchissons ensemble les obstacles. Il faut convaincre les filles qu’elles ont (au moins) le même talent que les garçons ! Cela me fait penser aussi au secteur du digital : en Belgique, à peine 7 jeunes femmes sur 1000 ont obtenu un diplôme dans les filières STEM en 2020, contre 21 hommes sur 1000 ! Pour inverser cette tendance, on a d’ailleurs lancé l’année dernière le plan « Women in Digital », en collaboration avec Mathieu Michel notamment. 

 

Nous avons la chance de vivre dans un pays de tolérance et d’acceptation. Lors de vos rencontres avec vos homologues étrangers, percevez-vous les mêmes évolutions positives sur les mentalités et l’ouverture dans tous les autres pays d’Europe ? Nous pensons notamment à la Hongrie dont le représentant Viktor Orban applique une politique beaucoup plus réfractaire aux thématiques LGBTQIA+, et de manière générale à certaines valeurs européennes.  

 

Nous avons la chance d’être en Belgique à cet égard oui, c’est vrai.  

Mais en même temps, il faut rester vigilant. 

 

Orban et certains discours d’extrême droite trouvent un écho dans toute l’Europe. Un discours qui stigmatise non seulement la communauté LGBTQI+, mais qui s’oppose aussi à l’avortement par exemple, ou bien encore qui remet en cause les droits sexuels et reproductifs. 

Quand on voit que la Hongrie a voté différentes lois homophobes et transphobes et que la Pologne a mis en place des “zones sans idéologie LGBT”, ça fait froid dans le dos.  J’ai été indignée par ces lois. Elles violent la liberté d’expression, et pas seulement. 

Je vous donne un exemple : si je publie en Hongrie un livre sur l’homosexualité, il ne pourrait pas être vendu dans un endroit accessible aux moins de 18 ans !  J’ai discuté de tout cela avec mes collègues au sein du gouvernement. Et Sophie Wilmès l’a fait aussi avec ses homologues européens. Nous avons immédiatement convenu que nous nous opposerions fermement aux lois discriminatoires d’Orban et que nous maintiendrions la pression au sein de l’Union européenne, car c’est là que des mesures peuvent être prises en premier lieu. N’oublions pas que la première initiative prise en Europe est venue de Belgique ! Sophie Wilmès a rédigé une déclaration avec les pays du Benelux et les États membres signataires ont condamné l’adoption par le Parlement hongrois d’amendements discriminatoires à l’égard des personnes LGBTQI, en qualifiant cette législation de forme flagrante de discrimination et de stigmatisation à l’encontre des personnes LGBTQI. 

L’idée était aussi de demander à la Commission européenne d’utiliser tous les outils dont elle dispose pour que la Hongrie se conforme au droit européen, y compris en saisissant la Cour européenne. 

 

Bref, il y a les paroles, et on est passé aux actes.  

 

J’aimerais également dire qu’y compris en Hongrie et en Pologne, de nombreuses personnes estiment que tous les citoyens de l’UE devraient bénéficier de la même protection contre la discrimination. 

Nous sommes leurs alliés et nous devons être solidaires avec ces personnes. C’est un combat inclusif, nous devons nous battre ensemble.      

 

Jugez-vous que notre pays propose suffisamment de structures permettant à toute personne d’avancer dans sa recherche identitaire, de l’association défendant les personnes LGBTQIA+ jusqu’aux intervenants dans le cadre de changements physiques nécessaires ?  

 

La situation est plutôt bonne en Belgique je pense. 

Nous sommes d’ailleurs en deuxième position du Rainbow Index de l’ILGA-Europe (classement de 2021). 

Et on doit saluer l’énorme travail du monde associatif, notamment. Mais il reste encore du travail à faire, par exemple en ce qui concerne la législation sur les personnes trans et intersexes, et la lutte contre la violence et l’amélioration du bien-être via le plan SOGIESC, qui est en cours d’élaboration. L’enjeu est d’accroître les connaissances sur les conditions de vie des personnes LGBTQI+ et de nous engager dans une politique d’inclusion des LGBTQI+. Il s’agit également de renforcer la sécurité des personnes qui font partie de la communauté. N’oublions pas les terribles drames qui se sont passés dans notre pays, de Liège, à Beveren… 

 

Que pensez-vous de l’incorporation du « iel » dans le dictionnaire ? Est-ce important pour le combat féministe ?  

 

L’écriture inclusive est un débat qui vit surtout dans le Sud du pays. Mais c’est une question intéressante. 

Une langue évolue avec son temps. La langue d’une société reflète la société elle-même, en même temps qu’elle l’influence. 

Et c’est certain qu’il existe une certaine domination du masculin sur le féminin, d’ailleurs il y a cette expression en français “le masculin l’emporte sur le féminin” ! 

Et le genre neutre n’existe pas en français… Dans ce sens, l’écriture inclusive est une réponse à ce rapport de domination.  

 

Que pensez-vous de la suppression du genre sur les cartes d’identité ? 

 

Ma collègue Ecolo Sarah Schlitz travaille actuellement, avec les ministres de la Justice et de l’Intérieur, à la modification du caractère irrévocable du changement de genre et à l’invisibilité du marqueur de genre sur la carte d’identité. 

Elle soutient par ailleurs l’initiative selon laquelle l’enregistrement officiel du genre ne devrait plus être lié au numéro de registre national.  

 

On va dans la bonne direction…