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Le grand retour du nucléaire en Belgique

En avril dernier, le Parlement fédéral a voté la modification de la loi de 2003 sur la sortie du nucléaire. Ce vote acte un changement de paradigme, longtemps défendu par le MR, dans les politiques énergétiques belges. La fin du calendrier de sortie du nucléaire étant désormais prononcée, le gouvernement se tourne vers l’avenir, en cherchant à prolonger les infrastructures existantes et à en construire de nouvelles. La société semble soutenir cette décision, mais comment expliquer que le nucléaire, longtemps décrié, retrouve aujourd’hui la cote ?

Pour comprendre cette évolution de l’opinion publique sur un sujet aussi clivant, marqué à la fois par l’espoir et la peur, un retour historique s’impose.

Dans les années 1970, la Belgique démarre la construction des centrales de Tihange et de Doel. Le dernier réacteur est achevé en 1985. Cette période est marquée par un optimisme technologique : le nucléaire incarne l’avenir et le progrès. Mais en 1986, la catastrophe de Tchernobyl refroidit brutalement cet enthousiasme. Ce drame, la plus grande catastrophe nucléaire de l’histoire, suscite peurs et inquiétudes parmi les citoyens belges.

De ce traumatisme naissent les mouvements antinucléaires, qui sont repris et portés par les écologistes dans les années 1990 et 2000. Ces mouvements influencent fortement le débat public de l’époque. En 2003, les Écolos remportent une victoire : la loi sur la sortie du nucléaire est votée, prévoyant l’arrêt progressif de toutes les centrales belges à partir de 2015. Dans les années 2010, les découvertes de microfissures dans certains réacteurs ravivent les craintes de la population. La fermeture de Doel 3 en 2022 et de Tihange 2 en 2023 marque le début du démantèlement des centrales belges.

L’arrêt de Tihange 3 et Doel 4 était prévu pour 2025. Mais en 2022, la guerre en Ukraine éclate et entraîne une crise énergétique. La dépendance européenne, et belge, aux énergies fossiles russes fait exploser les prix de l’énergie. Face à cette crise, et sous l’impulsion du MR, le gouvernement décide de prolonger ces deux réacteurs pour dix années supplémentaires. Cette crise énergétique opère un tournant dans l’opinion publique belge et européenne. La crise a révélé notre dépendance aux énergies fossiles importées. Sans alternative immédiate au nucléaire, cette situation a représenté une perte de souveraineté énergétique. Cela explique pourquoi une majorité de la population soutient aujourd’hui un retour du nucléaire, perçu comme un moyen de redevenir producteur d’énergie et de renforcer notre autonomie.

Ce regain d’intérêt pour le nucléaire se reflète aussi dans le discours politique et trouve son incarnation dans la figure de Mathieu Bihet, jeune ministre MR de l’Énergie, pour qui ce virage était indispensable. Il nous a fait le plaisir de développer sa vision en répondant à l’interview qui suit :            

Interview de Monsieur le Ministre de l’Énergie, Mathieu Bihet

  1. Pourquoi ce retour en force du nucléaire en Belgique ?

Parce que pendant trop longtemps, l’énergie nucléaire a été le parent pauvre de notre politique énergétique. Par dogmatisme, par idéologie pure. C’était presque devenu un gros-mot.

Aujourd’hui, grâce au Mouvement réformateur (MR), le nucléaire fait son grand retour dans notre mix énergétique. Nous opérons un changement de paradigme clair avec le passé, en passant d’un antinucléarisme primaire à un mix énergétique qui repose sur deux piliers : le nucléaire ET le renouvelable.

Nous pensons qu’il est primordial de réduire la dépendance de notre pays aux importations pour mieux résister aux crises et à l’instabilité internationale. L’objectif avec le nucléaire est d’assurer une énergie durable, bas carbone, souveraine et abordable pour les citoyens et compétitive pour nos entreprises. Le retour du nucléaire, c’est le retour du bon sens !

  1. La construction d’un nouveau réacteur (SMR) est prévue, mais les communes ne sont-elles pas réticentes à une construction de ce type sur leur territoire ?

Il est normal que des questions se posent, tout changement implique son lot d’interrogations.
 La volonté du Gouvernement est de continuer la recherche et l’investissement sur les SMR.

Il faut savoir que ces réacteurs modulaires sont très différents des réacteurs classiques. Ils sont conçus pour être plus compacts et plus faciles à intégrer dans l’environnement, pour répondre à des besoins locaux d’entreprises intenses en consommation d’énergie, par exemple.

Le moment venu, le travail de concertation et de transparence sera central. Le soutien local ne se décrète pas, il se construit.

  1. L’énergie est indispensable pour notre indépendance, mais, avec ce virage vers le nucléaire, ne risque-t-on pas de tomber dans une dépendance aux pays producteurs d’uranium ?

C’est une bonne question. Mais le risque de dépendance est moindre qu’avec les énergies fossiles comme le gaz ou le pétrole.

Oui, l’uranium est importé. Mais sa densité énergétique est telle qu’il en faut très peu pour produire énormément d’électricité. Contrairement au gaz, il ne dépend pas de flux continus ni de partenaires instables.

De plus, l’uranium provient de plusieurs régions du monde démocratiques et stables (Canada, Australie, etc.), ce qui diversifie les sources et réduit les risques. Sans parler du fait qu’il est stockable sur plusieurs années — un véritable atout stratégique.

  1. Quel serait votre mix énergétique idéal ?

Un mix équilibré, dans lequel toute source d’énergie décarbonée à sa place. L’avenir énergétique ne repose pas sur une seule technologie, mais sur la complémentarité entre elles. Nous n’avons pas de tabou, nous recherchons le meilleur rapport coûts/bénéfices.

Notre approche est pragmatique et équilibrée : nous ne misons pas sur une seule technologie, nous diversifions nos sources pour garantir une transition efficace et maitrisée.

  1. Est-ce qu’à long terme vous pensez que la Belgique pourra se passer d’énergie fossile ?

La Belgique continue de se diversifier en s’éloignant des combustibles fossiles pour s’orienter vers une électrification accélérée des usages. Mais il faut des mesures pour accompagner cette transition. Ce qui est rare est cher : s’il n’y a pas assez d’électricité produite, elle sera chère. Et on ne fait pas une transition énergétique avec une électricité chère.

  1. Pensez-vous qu’un jour nous pourrons devenir des exportateurs d’énergie au même titre que la France ?

La Belgique est déjà exportatrice d’électricité à certains moments, notamment grâce à sa production éolienne offshore ou son parc nucléaire existant. Nos nombreuses interconnexions européennes facilitent également les échanges. Devenir un exportateur structurel, comme la France avec son nucléaire, reste plus ambitieux mais possible au long cours, avec des investissements massifs dans la production électrique et une vision à long terme.

  1. Pourquoi ne pas adopter un modèle comme EDF (détenue par l’état français) afin de mieux contrôler notre production d’énergie et moins dépendre d’acteurs privés comme Engie dont les intérêts ne sont pas toujours alignés sur les nôtres ?

La question du modèle est légitime. L’enjeu est d’assurer un bon équilibre entre régulation publique et efficacité du privé. L’État doit préserver les leviers permettant de garantir l’intérêt général, mais cela ne veut pas dire qu’il faut nationaliser l’ensemble du secteur. Il faut surtout veiller à ce que les décisions d’investissement s’inscrivent dans le cadre de nos objectifs climatiques, énergétiques et stratégiques.

  1. Quel est votre avis sur la fusion nucléaire ?

C’est une technologie d’avenir, extrêmement prometteuse car elle pourrait fournir une énergie quasi illimitée, sans déchets à longue durée de vie. Mais soyons lucides : elle n’est pas encore prête à être utilisée à grande échelle. La recherche progresse et nous devons continuer à y investir, mais ce n’est pas une solution pour demain matin.

Martin de Meulemeester
Rédacteur