Poverello, une drôle d’ASBL !

Par Gauthier Jacques, rédacteur en chef 

L’Église catholique de Belgique soutient-elle vraiment les plus démunis ? Une enquête du Vif, de Knack et du magazine #Investigation de la RTBF a mis en exergue des pratiques pour le moins peu catholiques, voire illégales, au sein de deux associations sans but lucratif de lutte contre la pauvreté : Rafaël et Poverello. Tantôt erreurs comptables et conflits d’intérêts, tantôt travail forcé et abus de bien sociaux, ce n’est pas Noël pour tout le monde.

Reprenons depuis le début. Le prêtre Belge, Réginald Rahoens (1956-2011), est le père fondateur de l’ASBL Rafaël. Ordonné prêtre en 1992, il revient à Bruxelles comme curé de plusieurs paroisses de la commune d’Anderlecht. Touché par la pauvreté et l’exclusion sociale à Bruxelles, Rahoens a transformé sa foi en décision. Servir les autres est devenu l’œuvre de sa vie, en particulier pour les pauvres, les faibles, les étrangers et les vulnérables. Lorsque la clinique d’Anderlecht Sainte-Anne déménage en 1994, Rahoens saisit l’opportunité de démarrer un centre d’accueil d’inspiration chrétienne dans les anciens bâtiments. Dans cet ancien bâtiment vivait la Congrégation des Sœurs hospitalières du Très Saint Sauveur. L’objet social de cette association était l’accueil et l’intégration des personnes migrantes et la population fragilisée et démunie. Il est clairement stipulé que la donation est faite dans un but social et chrétien.

Poverello, quant à elle, voit le jour en 1978. Fondée à Bruxelles par le gynécologue catholique Jan Vermeire, elle compte dix antennes en Flandre, trois à Bruxelles et deux en Wallonie et est désormais dirigée par Johan Van Eetvelde. Cette association dispose de moyens considérables et réalise un profit annuel s’approchant des 900 000 euros. Nonobstant, il affirme « qu’elle (l’ASBL) les utilise uniquement pour venir en aide aux personnes dans le besoin […] et si ce n’est pas le cas, c’est sans doute parce que nous sommes absorbés par bien d’autres travaux en ce moment ».

Ce qui est reproché à Poverello  ce sont les conflits d’intérêts, les membres peu scrupuleux du comité de direction, les nombreuses propriétés foncières mal utilisées, l’excès de travail demandé pour des personnes qui ne jouissent que d’un simple statut de « bénévole », la comptabilité plus que douteuse, les assurances vies souscrites aux différents sans-papiers bénévoles, les collusions entre le clergé et les associations et bien plus encore. A titre d’exemple, l’exploitation des sans-papiers est ouvertement revendiquée à travers des messages internet notamment sur Habitat groupé solidaire où Mme Boveroulle, administratrice de l’ASBL Rafaël, a publié en juin 2020 le message suivant :  « Outre la qualité humaine de ces personnes, elles peuvent être aussi très utiles et peuvent s’occuper d’une personne âgée / d’une personne malade, faire le ménage, travailler dans le jardin, faire les courses, cuisiner, faire de la blanchisserie (repassage ou autres), s’occuper d’animaux… « Être sans papiers » ne signifie pas ne rien savoir/vouloir faire […] »

Comment en est-on arrivé là ? Décryptons. À la mort de Monsieur Rahoens, c’est Mgr Herman Cosijns qui reprend la présidence de l’ASBL Rafaël mais en même temps, ce dernier vient tout juste d’être nommé secrétaire général de la Conférence épiscopale, la principale assemblée des évêques de l’Église catholique de Belgique. Parallèlement, Mgr Cosijns est aussi actif depuis 2008 au sein du Projet Bethléem, projet lancé en 2006 par le Cardinal Daneels et qui a pour objectif de transformer des biens d’église en logements sociaux. Ces nouveaux habitats sont gérés par des agences immobilières sociales qui perçoivent les loyers et en rétrocèdent une large proportion à l’Église.

Sous la présidence de Mgr Cosijns, l’ASBL Rafaël va connaître un déclin financier conséquent. Quand il reprend la direction en 2011, elle affiche des fonds propres positifs de 161.000 euros. C’est la richesse nette de l’association. En 2019, huit ans plus tard, les fonds propres de Rafaël sont en négatif de 280.000 euros… Aujourd’hui, cette ASBL n’est plus qu’une épave endettée depuis que son principal actif – l’ex-clinique Sainte-Anne, – a été gracieusement cédé à l’Église le 23 avril 2021. L’acte notarié a été signé entre Mgr Consijs et Patrick du Bois de Bounam de Ryckholt, administrateur délégué  de l’Archevêché Malines-Bruxelles et notamment connu pour avoir été inculpé dans le dossier « Sabena ». Il y a donc conflit d’intérêts. Pour faire simple, c’est un peu comme si Cosijns avait donné l’immeuble à l’organisation de son chef.

Selon le professeur de droit public et avocat, Stéphane Rixho,  « on constate qu’il y a des liens et donc on peut considérer qu’il y a conflit d’intérêts « . Ils auraient dû à tout le moins signaler qu’il y avait ce problème potentiel ou effectif de conflit d’intérêts, le faire inscrire au procès-verbal, se déporter pour les délibérations et se déporter pour le vote. Le problème étant que la valeur de l’immeuble est très importante par rapport au patrimoine de l’ASBL, donc il y a un réel appauvrissement de celle-ci ».

Bref, c’est le début d’un nouveau « gros dossier » et de lourdes déclarations dans lesquelles l’Eglise – soit disant proche des pauvres – se retrouve à nouveau mêlée. La Maison de Dieu n’arrête donc jamais de nous surprendre…

Sources :

https://www.lalibre.be/belgique/societe/2021/12/09/lassociation-daide-aux-sans-abri-poverello-mise-en-cause-sur-lutilisation-de-ses-moyens-financiers-7X5XMCERU5EQTEMH7NJQ2PYMSE/

https://www-nieuwsblad-be.translate.goog/cnt/g53d2dpr?_x_tr_sl=nl&_x_tr_tl=fr&_x_tr_hl=fr&_x_tr_pto=sc

https://www.cathobel.be/2021/12/investigation-un-traitement-mediatique-mensonger/

https://www.rtbf.be/info/dossier/investigation/detail_les-etranges-affaires-de-l-eglise-ils-cuisinent-lavent-et-repassent-qui-veut-heberger-un-sans-papiers?id=10893697

https://www.habitat-groupe.be/petites-annonces/demandes-location/bruxelles/sos-accueil-personnes-sans-papier/

https://www.dhnet.be/actu/faits/requisitoire-boucle-dans-le-dossier-sabena-51b7b425e4b0de6db988c746

https://www.levif.be/actualite/magazine/des-dizaines-de-millions-d-euros-inutilises/article-normal-1500533.html