Que du foot? Vraiment?

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Socrates, le footballeur brésilien (rien à voir avec son homonyme grec) est un prodige du ballon rond qui, au début des années 80, fait beaucoup de bruit. D’une part, par son talent, car malgré son style atypique, le brésilien est un régal pour les yeux lorsqu’il joue, mais également pour son engagement politique profond. Le joueur aura toujours eu de nobles ambitions et c’est pour cela qu’avant de finalement décider de faire carrière dans le sport, il décrocha un diplôme de médecine, qui lui vaudra plus tard son surnom : « le docteur ».

A cette époque, le Brésil est en proie à une dictature militaire (1964-1985) et le football est extrêmement corrompu par le gouvernement. Cependant, en 1980, un nouveau président, progressiste, prend en charge le mythique club de São Paulo : les Corinthians. Socrates, qui ne supporte plus les mises au vert interminables, en profitera pour mettre en place une expérience absolument révolutionnaire : à présent, les gains seront répartis de manière plus équitable et toutes les décisions prises seront soumises à un vote au sein des joueurs. Une mini démocratie vient de naître dans le football brésilien, la démocratie corinthienne.

Cette expérience est couronnée de succès. Sur le plan sportif, les Corinthians remporteront deux championnats et cette équipe spectaculaire déchainera les foules. Sur le plan politique, la dictature ne peut rien faire pour s’opposer aux messages politiques des joueurs, lesquels inscrivent d’ailleurs ostensiblement le mot « démocratie » sur leurs maillots. En effet, l’objectif du club ne se limite pas qu’au football : il veut prouver les bienfaits de la démocratie à tout le pays. Véritable religion au Brésil, ce sport et sa gigantesque popularité offrent une médiatisation colossale au projet. Socrates, quant à lui ne manque pas de fêter chacun de ses buts en se tenant droit, et en brandissant le poing, défendant avec véhémence son idéal de démocratie. D’ailleurs, lors d’élections finalement tenues en 1982, les Corinthians ne manquent pas le coche, et rajoutent sur le maillot porté lors de la finale du championnat, « votez le 15 ». L’année suivante, ils profiteront d’une nouvelle finale pour brandir à la fin du match une banderole devenue légendaire : « Gagner ou perdre, mais toujours en démocratie. »

Bien que petit à petit, le battage médiatique autour de l’équipe commence à diminuer, Socrates ne lâche pas l’affaire et continue à mêler sport et idéologie. Il rejoint un mouvement politique réclamant une élection présidentielle au suffrage universel et alors qu’un pont d’or lui tend les bras en Europe au club de la Fiorentina, il déclare lors d’une manifestation devant une foule en délire que s’ils réussissent à mettre suffisamment de pression sur le président, il restera au pays. Malgré tout, le miracle n’aura pas lieu, et il rejoindra finalement Florence, où ses performances footballistiques décevront.

Rattrapé par ses problèmes avec l’alcool, il décèdera en 2011 mais aura eu le temps de voir son pays se libérer de la dictature militaire. Véritable icône de la résistance brésilienne, le joueur et son équipe auront touché tout le monde au Brésil, de l’amateur de football aux intellectuels du pays. Nul doute que sa popularité aura contribué à l’éveil des consciences dans une situation critique.

Président brésilien entre 2003 et 2011, Lula déclarera : « La démocratie Corinthiane a apporté le message du changement et de la démocratie à un nombre incalculable de personnes. Les Corinthians sont l’une des plus grandes équipes du pays, et le fait de voir des joueurs de football mettre en pratique les idéaux démocratiques a mis en lumière l’importance de notre lutte. »

Alcoolique, fumeur, docteur mais aussi footballeur au professionnalisme discutable et dont la quête inébranlable de liberté lui fera parfois défaut, Socrates a marqué des buts certes, mais a aussi marqué son pays de son empreinte. Les mauvaises langues estimeront qu’avant d’être un démocrate convaincu, il militait avant tout pour sa propre liberté.

Bien sûr, il serait malhonnête de prétendre que le Brésil doit l’avènement de sa démocratie uniquement à Socrates. Néanmoins, le joueur brésilien aura à tout jamais démontré une chose : la portée du football va bien au-delà du cliché le réduisant à quelques personnes courant simplement derrière un ballon.

Sources: 

https://www.rts.ch/sport/football/11329320-socrates-et-democratie-corinthiane-la-renaissance-dun-football-plus-juste.html#chap03

Documentaire “Democracy in Black and White”, 2014

Ranc, D. & Sonntag, A. (2013). La « démocratie corinthiane », un exemple d’organisation créative dans le football au temps de la dictature brésilienne. Humanisme et Entreprise, 313, 3-18. https://doi.org/10.3917/hume.313.0003