Rencontre avec Géraldine Demaret

C’est sur une note positive que le bilan de la Loterie Nationale s’est terminé en 2022. 1,48 milliard d’euros, c’est le chiffre. L’année dernière, la baisse du pouvoir d’achat et les crises successives ont raboté de 2,7% le chiffre d’affaires de la loterie, après un exercice 2021 record, qui avait coïncidé avec la sortie de la crise Covid. L’entreprise tourne avec 430 collaborateurs et en a engagé 67 l’année dernière. Intéressons-nous quelques instants à la nouvelle présidente du conseil d’administration et à cette société philanthrope quelque peu méconnue du public.

Peux-tu te présenter et retracer ton parcours ?

Je suis sortie en 2011 de l’université avec un diplôme d’ingénieure commerciale et j’ai directement commencé à travailler dans le secteur privé pour la boite Ice Watch qui était en plein essor. Je travaillais au développement de la marque à l’international ; je m’occupais du Moyen-Orient et du continent européen. C’était très instructif. Ensuite, j’ai eu l’opportunité de travailler pour une PME qui développait des magasins retail en Belgique et au Grand-Duché de Luxembourg.  Dans la foulée, j’ai passé un examen pour faire de l’audit au niveau de la Fédération Wallonie-Bruxelles, j’ai réussi mon examen pour être statutarisée mais j’ai passé également en 2014 l’examen du MR que j’ai réussi. J’ai donc arrêté l’audit et j’ai commencé à travailler au groupe MR du parlement. Denis Ducarme était chef de groupe à l’époque et je m’occupais de la commission Finances et Budget. Ensuite, Denis est devenu ministre des PME, Indépendants, Classe moyenne et Agriculture et là je l’ai suivi et je suis devenue directrice des Budget/Finances dans son cabinet. A l’heure actuelle je suis cheffe de cabinet adjointe pour le ministre David Clarinval et je suis en charge des cellules statut social, travailleurs indépendants et cellule PME.

Depuis mai 2021, j’occupe la fonction de présidente du conseil d’administration de la Loterie Nationale.

Connaissais-tu le secteur avant d’y rentrer ? 
Je ne connaissais pas les particularités du secteur des jeux de hasard. Je connaissais la Loterie Nationale en tant qu’entreprise publique. Je traitais en effet avec cette entreprise lorsque je travaillais au parlement au niveau de la commission finances/budget. Quand je suis arrivée à la loterie, j’ai dû très vite apprendre comment fonctionnait cette belle entreprise publique mais aussi le cadre réglementaire dans lequel elle évoluait et le secteur des jeux de manière plus large. D’abord son fonctionnement : sa stratégie, son contrat de gestion avec le gouvernement mais aussi le secteur des jeux de hasard de manière plus globale puisque la loterie a également une branche « paris sportifs » qui est régie par la loi sur les jeux de hasard et donc là effectivement c’était plus technico-juridique et j’ai dû m’en imprégner.

En mai 2021, quand je suis arrivée comme présidente de la loterie, presque l’ensemble du conseil avait été renouvelé. Il s’agissait donc de matières nouvelles pour la plupart des membres. Les séances étaient donc plus didactiques car pour chacun des dossiers sur la table, un rétroacte était nécessaire.

L’année 2021 a été marquée une fois de plus par la crise du Covid. Malgré cela, le nouveau CA mis en place a pu être témoin de l’adaptation rapide de la stratégie de la LN à la situation exceptionnelle qu’a représenté le Covid. L’entreprise publique a pu tirer profit de ses investissements dans le digital et dans les points de vente.

Un conseil d’administration qui respecte les quotas de parité ?
Oui, niveau quotas « entreprises publiques ». Je suis particulièrement fière que ce soit une femme à la présidence du conseil d’administration. Il y a 5 autres femmes qui siègent au conseil d’administration donc on atteint quasiment les 50% ; on va même au-delà de ce qui est imposé et c’est très positif.

Est-ce que ce système de quotas est une bonne chose ?
Non.

Tout d’abord, je partage évidemment le constat qu’il reste encore beaucoup de travail pour assurer une bien meilleure représentativité des femmes dans certains milieux de la société et ce, notamment dans la haute fonction publique et dans la sphère politique. Néanmoins, et idéologiquement parlant, je suis contre le fait d’imposer un système de quotas « en faveur des femmes » et je suis encore optimiste de croire qu’il existe d’autres solutions pour promouvoir la représentativité des femmes que ce soit dans le secteur privé ou le secteur public. Il s’agit d’une fausse bonne idée selon moi car on stigmatise la femme qu’on choisit en fonction de son sexe plutôt qu’en fonction de ses compétences/connaissances. Pour certaines femmes, la parité forcée peut même paraître humiliante/stigmatisante. Les quotas sont selon moi une discrimination positive car ils créent une nouvelle inégalité  afin de promouvoir une égalité. 

Le sujet de légalité homme-femme est un problème sociétal plus profond ancré dans les pratiques et les cultures et pour lequel la formation, l’éducation et la sensibilisation restent primordiales. Cependant, au vus des arguments que je viens d’énumérer, le système de quotas ne me semble pas suffisant pour améliorer la parité. Ce n’est pas en forçant les choses qu’on y arrivera. In fine, imposer des quotas reste pour moi une énorme faiblesse en tant que société.

C'est quoi la Loterie ?

La première loterie a été organisée en 1441 à Bruges et depuis elle a évolué et s’est diversifiée à travers le temps pour arriver à la loterie que nous connaissons de nos jours. C’est un modèle assez unique en Belgique, c’est un monopole d’état.

Il faut se rappeler que la LN a une double mission :

  • Offrir à chacun la chance d’assouvir son envie de jouer ;
  • En contribuant ainsi positivement au plaisir de jouer, au bien-être et à la société (responsabilité sociétale).

C’est pour ce faire que la LN :

  • Assume sa mission de canalisation en organisant des jeux attractifs, accessibles et responsables caractérisés par leur dimension collégiale et leur transparence, et développés, commercialisés et soutenus dans cette optique.  La raison d’être de la LN est la collecte de fonds pour soutenir les bonnes causes par la canalisation active des joueurs.
  • Mets les bénéfices qu’elle enregistre à disposition de la collectivité. Une relation directe est ainsi établie entre le joueur, le jeu et les bonnes causes. Cette réciprocité fait partie de la culture d’entreprise de la Loterie Nationale.
  • Assume également un rôle d’exemple dans sa gestion d’entreprise. Elle se veut être une organisation moderne, performante, attentive aux coûts et à la durabilité dans sa responsabilité sociale en tant qu’entreprise, sa politique de RH, son infrastructure IT, sa politique d’achat et tous les autres processus.

Le modèle de la LN est unique par nature. En effet, elle offre des jeux transparents et responsales à un grand nombre de joueurs (6,4 millions de Belges) qui jouent des petites mises (en moyenne 5 euros) à des petites fréquences (46,8 moments de jeu/an). L’ensemble de ces bénéfices sont ensuite réinvestis dans la collectivité. C’est en effet la collectivité et le vivre-ensemble qui sortent gagnants des bons résultats de la LN via la rente de monopole (145 millions) versée à l’état et les subsides (200 millions) octroyés à de très nombreuses associations caritatives à travers tout le pays qui en ont grand besoin dans le contexte que nous connaissons. La Loterie Nationale, c’est en effet bien plus que jouer.

Quelle est la stratégie de la Loterie nationale ?
Les jeux proposés par la Loterie Nationale reposent sur trois piliers : le Lotto, Euromillions et les jeux instants. Cela fait partie de notre stratégie de diversification qui nous permet à la fois d’avoir une croissance durable et d’amortir un éventuel choc qui viendrait frapper un de nos piliers.

Concrètement :

A. Élargir la base de joueur :

  • Quantitativement : capturer des parts de marché (particulièrement en canalisant les parts de la concurrence) ;
  • Qualitativement : développer une compréhension plus riche du joueur.

B. Être présent partout, tout le temps, de manière optimale :

  • Qualité du numérique ;
  • Qualité des POS ;
  • Portefeuille de produit afin de répondre aux besoins de chacun des joueurs.

C. La loterie c’est bien plus que jouer :

Un modèle responsable (produits sûrs, participation modérée, pour le plus grand nombre), un engagement entre le joueur-les bonnes causes-loterie, et des normes sociétales et environnementales élevées.

Que faire des personnes « addictes » ?
Au niveau de la loterie, les joueurs sont nombreux mais ils jouent de petites mises. Notre mission est de canaliser le joueur pour le protéger. Au niveau du nouveau contrat de gestion entré en vigueur en septembre 21, il y a plusieurs mesures qui ont été mises en place ;

  • Certification – la LN protège ses joueurs en étant entre autre engagée dans le processus de certification « Responsible Gaming » de l’association des loteries européennes. Elle dispose du certificat d’opérateur responsable (ratifié tous les 3 ans par un audit externe).
  • Depuis septembre 2020, le comité de jeux resp., existant au sein de la loterie depuis 2006, a été remplacé par le conseil sup. d’éthique des jeux de la LN. Ce dernier est composé d’experts qui établissent des recommandations qui doivent être respectées dans le cadre d’une politique de jeux responsables. Ces directives portent principalement sur la prévention de la dépendance au jeu, le strict respect de la non participation des mineurs aux jeux de la LN, politique de marketing responsable, formation des membres du personnel et des points de vente et enfin la communication d’informations adéquates concernant le traitement de la dépendance aux jeux.
  • Formation des employés – sensibilisation afin de reconnaître plus rapidement une personne addict aux jeux.
  • Formation des points de vente
  • Mistery shopping pour éviter que les jeunes ne puissent acheter des produits de la loterie
  • Conception et analyse des jeux – en utilisant la matrice d’analyse permettant d’évaluer les risques des jeux selon des critères objectifs.
  • Analyse du comportent de jeux des joueurs

On se rend compte que quelqu’un qui est « addict » aux jeux ne l’est pas au début avec les jeux de la Loterie Nationale ; il est accro à d’autres jeux de hasard et s’il arrive chez nous, il aura plus tendance à jouer, oui. Nous analysons tous ces comportements pour éviter d’arriver à des situations totalement irrécupérables.

La loterie est philanthrope ?
Les plus grands montants (structurels) sont déterminés par un arrêté royal : Fondation Roi Baudouin, Croix rouge, etc. ce sont des montants qui sont repris annuellement dans un arrêté royal. Ensuite, il y a tout ce qui est prestige national. Il s’agit de plus petits montants pour des plus petites ASBL qui demandent de l’aide et qui rentrent dans l’objet sociétal de la loterie soit pour un événement ponctuel (sponsoring) soit pour subsidier un événement qui ne pourrait plus avoir lieu sans le subside de la loterie. Tout se fait via le site internet de la LN où on retrouve deux types de formulaire : un pour le sponsoring et l’autre pour une demande de subsides. La loterie dispose d’un délai de trois mois pour répondre à la demande.

Nous devrions à l’avenir améliorer la frontière entre sponsoring et subsides car la différence est assez mince et des fois mal comprise du grand public. Deuxième point d’amélioration, nous devrions plus communiquer avec nos joueurs pour qu’ils sachent que l’intégralité de leur somme est reversée aux bonnes causes. Cela passe aussi par le renforcement de notre partenariat avec les bonnes causes.

Messages clés?

  • Ce que j’ai constaté en tant que présidente du CA de la Loterie Nationale, c’est que la stratégie de la Loterie Nationale ne peut être tenable à long terme sans une politique de jeux de hasard responsable. Ceci implique évidemment que la Loterie remplisse son rôle et ce dernier est d’ailleurs bien encadré dans le contrat de gestion. Renforcer cette politique de jeu responsable permettra non seulement aux opérateurs privés légaux de développer leur activité mais aussi, à la Loterie Nationale, avec son monopole et son rôle sociétal, de faire persévérer sa position sur le marché en continuant à prospérer sans accroître sa part de marché et en protégeant toujours le joueur. La LN est un très bel outil public qui doit s’adapter à la concurrence évolutive pour protéger sa plus value PUBLIQUE. J’ai le sentiment que sans une politique en matière de jeux de hasard cohérente et proportionnée, la Loterie Nationale ne pourra plus garantir son modèle tel qu’il existe aujourd’hui.

Et je le répète, l’objectif est commun pour tous même si nos missions sont différentes et le modèle est différent. Il ne s’agit pas d’opposer la Loterie nationale au secteur privé mais d’appliquer une politique de jeux responsable, proportionnée et cohérente.

  • Le rôle sociétal de la loterie n’est pas assez valorisé. Il faut en faire davantage vis-à-vis des citoyens mais aussi vis-à-vis des partenaires. La loterie, c’est bien plus que jouer !

Connaissez-vous vraiment Géraldine ?

Vin ou bière ?

  • Définitivement. Vin Blanc. J’ai été une fêtarde à l’unif mais je n’ai jamais aimé la bière…

Plage ou ski ?

  • Rah… C’est difficile ça… j’adore skier mais je dirais plage car on se repose un peu plus !

Matinale ou noctambule ?

  • Noctambule

Bonne bouffe ou restaurant gastronomique ?

  • Bonne bouffe ; pour l’ambiance surtout !

Sucré ou salé ?

  • Salé