Rencontre avec Olivier Chastel

Rencontre avec Olivier Chastel

 

Le Débrief’Mag est parti à la rencontre de Olivier Chastel, eurodéputé et membre de Renew Europe.

 

 

Comment est-ce qu’on passe de pharmacien à homme politique et député européen ?

 

De manière assez simple. D’abord, on est intéressé par la chose publique et puis il faut ce brin de hasard, ou de chance, qui te fait rencontrer la bonne personne et ça a été mon cas. L’anecdote veut que ma mère fût pharmacienne à Charleroi et un jour en rentrant de l’université, je passe derrière le comptoir de la pharmacie et là devant quelqu’un que je n’avais jamais vu, mais qui lui demande si elle veut bien être candidate aux élections communales qui s’annoncent. Ma mère dit « non, absolument pas. Je suis sympathisante du parti libéral, mais je n’ai pas le temps de m’occuper de ça.» Et, moi, en blaguant, je dis au type qui est là devant : « Si elle veut pas, moi je veux bien ». Je continue ma route sans attendre, parce que je le faisais vraiment en blaguant. Et 3 jours après, cette personne m’a rappelé en disant : « Oui, j’étais celui qui se trouvait devant votre maman. Est-ce qu’on peut se voir pour en discuter [des élections communales] ? » Pour moi, c’était en blaguant. Mais il voulait quand même en parler. Toute cette histoire démarre de cette anecdote puisque j’ai été candidat aux élections communales de 1988. Si je suis encore candidat en 2024, c’est peut-être bien ma septième élection. Puis de là, les élections législatives, d’abord comme suppléant, puis comme effectif. Ensuite une carrière ministérielle à différents niveaux jusqu’à même président du Mouvement Réformateur, puis député européen. C’est une suite de concours de circonstances, mais évidemment un intérêt pour la chose publique.

 

 

De manière un peu plus générale, on dit souvent que la jeunesse est désintéressée de la politique et particulièrement celle européenne. Comment est-ce qu’on peut faire pour intéresser cette jeunesse à la politique en générale et européenne ?

 

 

Je pense que, très globalement, notre population s’intéresse, si on en croit les études et opinions, de moins en moins à la politique. Probablement, parce qu’ils sont déçus, qu’ils ne se sentent pas concernés ou parce qu’ils ne se reconnaissent plus dans ceux qui sont élus. J’ai la faiblesse de penser que moins on maîtrise le niveau de pouvoir, à la fois dans son institutionnel et dans son mode de décision; nos citoyens ne s’y retrouvent plus, la jeunesse en particulier. C’est donc ce qui pose problème au niveau européen. Ce niveau est plus éloigné de nos concitoyens et de nos jeunes en particulier. On peut débattre de ça car c’est tout l’inverse, tout ce qui se discute au niveau européen est retranscrit dans les lois et législations fédérales. C’est aussi le niveau de pouvoir où la complexité institutionnelle est redoutable. 

 

Qui décide en Europe ? C’est toujours la bonne question. Parfois, il n’y a qu’un siège pour deux, on l’a vu dans des circonstances particulières et donc, plus le niveau de pouvoir est éloigné, plus le niveau institutionnel est éloigné et plus le mode de décision est compliqué. Il n’y a pas plus compliqué qu’une décision européenne, puisqu’on sait que si la commission propose un certain nombre de texte, pour que ces derniers entrent en application dans les 27 états membres, il faut que le parlement et le conseil européen tombent d’accord sur un texte de compromis tout en sachant que pour certaines matières, il faut que tous les membres soient d’accords entre eux. Il faut avouer que quand on additionne les trois paramètres, l’éloignement, l’institutionnel et le mode de décision, on ne peut qu’être éloigné de nos concitoyens et des jeunes, même si l’Europe donne beaucoup d’énergie à faire connaître les thématiques qu’elle aborde. On a eu à la suite de cette législature, avec la pandémie de Covid, une bonne occasion de montrer à nos concitoyens tout l’intérêt de l’Union Européenne, le fait d’être solidaire, d’être soudé et prendre des décisions rapides et communes. L’Europe a des atouts pour montrer qu’elle s’occupe d’un certain nombre de sujets qui touchent au plus proche de nos concitoyens et qu’elle sait être efficace. C’est vrai qu’on constate qu’elle est très forte après une crise ou pour répondre à une crise. 

 

Pourquoi est-elle surtout efficace à l’occasion d’une crise ? 

 

Parce que c’est à l’occasion d’une d’entre-elle que 27 chefs d’états crient au secours. Sinon, dans le fonctionnement normal de l’Union Européenne, les différents chefs et ministres d’états ont surtout comme motivation de faire en sorte que les décisions prises favorisent le pays qu’ils représentent. Ce n’est pas avec cet état d’esprit qu’on prend des décisions responsables, cohérentes, solidaires sur l’ensemble du territoire européen. Par contre, en temps de crise, quand on se rend compte que tout seul, on est pas grand chose (même pour des grands pays européens), c’est à ce moment là qu’on commence à se serrer les coudes jusqu’à prendre – et on l’a vécu dans la foulée du Covid – des décisions historiques qu’on aurait pas imaginé il y a quelques années. La manière de financer le plan de relance, c’est-à-dire faire en sorte que les 27 États membres soient solidaires dans des emprunts contractés ensembles dans l’Union Européenne. Les crises permettent à l’Union d’avancer. Ce qu’on doit faire, c’est valoriser notre capacité de solidarité ensemble sur l’Union Européenne. C’est en mettant en avant des succès, comme ceux qu’on a vécu durant la crise Covid, qu’on peut faire comprendre aux gens  que l’Union Européenne est ce qu’on fait de mieux sur notre continent.

 


Mais justement, vous parlez de crise et d’atouts, si on devait faire un check-up « santé », comment se porte l’Europe maintenant ? Bien, pas bien, encore des améliorations à faire ?

 

Ni très bien, ni très mal. Comme je viens de le dire, on a pas inventé mieux comme démocratie et efficacité européenne. Je pense que l’Europe doit évoluer pour montrer à nos concitoyens qu’elle est plus efficace qu’elle ne l’est déjà. Elle doit évoluer dans les thématiques qu’elles abordent. Les États membres doivent comprendre, notamment après la crise du covid, que l’Europe qui n’avait aucune compétence en matière de santé a montré qu’elle était plus efficace que n’importe qui dans ces compétences là. L’Europe doit évoluer dans son mode de décision. Tant qu’une série de décisions ne sait pas se prendre à la majorité, ou à la majorité qualifiée, mais reste encore à l’unanimité, alors on est à la merci du moindre état membre qui – et cela serait le meilleur des cas – n’est pas d’accord avec avec la décision, mais surtout avec le moindre état membre qui utilise la décision qu’on attend de lui comme monnaie d’échange pour autre chose dans un dossier qui le préoccupe. Et donc, on est sur le chantage permanent de tel ou tel Etats membres qui soit ne veut pas de sanction contre lui dans le dossier de l’état de droit, soit attend des retombés plus importantes qu’il n’en reçoit avant de donner son aval sur une décision qui concerne presque 500 millions de citoyens européens. Si on veut que l’Europe fonctionne mieux, il faut au moins ces deux conditions à faire évoluer. La conférence sur l’Europe a marqué de manière criante sur ce qu’il fallait faire pour modifier un certain nombre de règles. Je ne vois que cela comme boost pour faire évoluer l’Union Européenne et ses institutions.

 

Parfois, vous parlez de la difficulté d’arriver à un accord, est-ce qu’il n’y a pas trop de pays dans l’Union Européenne  ?

 

Je ne pense pas qu’on doit réfléchir avec le “trop de pays”. Les derniers élargissements, on a eu du mal à les digérer, c’est vrai. Mais il ne faut pas raisonner en termes qu’il y a trop d’États membres. Maintenant, qu’on a plus ou moins derrière nous la digestion des derniers élargissements au sein de l’ancien Bloc de l’Est, je ne suis pas contre des pays candidats. Mais il y a un certain nombre de principes qu’il faut respecter et d’autres à modifier. Je pense que pour adhérer à l’Union Européenne on ne doit en aucun cas, brader les valeurs. Il faut atteindre les standards requis par rapport aux différents critères à respecter pour entrer dans l’Union Européenne. C’est un peu ce qui a été court-circuité par l’élargissement à l’Est et je le comprends pour des raisons géopolitiques. Mais quand on en fait les conséquences, le prochain pays qui viendra compléter ce club de 27 états membres, doit absolument nous donner des garanties sur le respect des valeurs, de l’état de droit et sur les avancées par rapport à tous les critères qui sont sur la table. Sinon, on risque de décrédibiliser l’institution. D’une part, on peut avoir plus de pays. Mais d’autre part, on doit aussi permettre à ceux qui veulent plus d’approfondissement le moyen de le faire. Autrement dit, si un certain nombre de pays européen veulent aller plus loin dans un certain nombre de matières, on doit leur permettre de le faire. Ce n’est pas assez le cas aujourd’hui. Il y a une procédure de coopération renforcée qui permet à quelques pays d’avancer ensemble, mais celle-ci est assez stricte dans son application et les États membres hésitent toujours à l’utiliser. Il faut donner le moyen à certains pays membres d’avancer sur un certain nombre de thématiques qui n’est pas possible aujourd’hui. Ce sont les deux éléments que je mettrais en avant par rapport à cette problématique de “trop nombreux”. On peut être plus nombreux tout en respectant les critères et les règles. On doit permettre à ceux qui veulent avancer de le faire.

 

Dossier guerre en Ukraine : certains députés ont interpellé le président du parlement et la présidente de la commission européenne pour l’instauration d’un « non-visa » pour les touristes russes. Bonne ou mauvaise idée ?

 

Ah c’est une bonne chose, je l’ai co-signée ! C’est utile parce que trop de Russes circulent en Europe, qui le font en respectant les règles actuelles, mais surtout qui le font surtout sans mesurer les conséquences des actes posés par Vladimir Poutine. Si on veut faire réfléchir un maximum de Russe, il faut utiliser tous les moyens. Et donc, laisser venir les citoyens Russes comme bon leur semble en Europe, indépendamment des décisions prises par leur président, ça ne va pas. Si on veut les conscientiser et qu’ils mesurent à quel point ce qui se passe est juste impossible à supporter aux portes de l’Europe, alors on doit agir là où on a les leviers. C’est un levier important. C’est tout une série de mesure comme celle-là qui, petit à petit, permettront de faire confiance aux Russes qui suivent aveuglément leur président, que ça ne peut pas se passer comme ça.

 

 

 

 

Une autre des conséquences de cette guerre, c’est la crise énergétique en Europe. Quelles sont les mesures qui peuvent être appliquées aux pays européens pour ralentir cette crise ?

 

L’Europe de l’énergie se développe. L’Union Européenne a été la plus ambitieuse au monde sur la problématique du climat et ça touche à l’énergie, et aussi à l’économie d’énergie. On est en pleine crise et une des mesures les plus efficaces c’est de ne pas dépenser d’énergie. L’Europe est aussi en avance sur les mesures à prendre pour économiser l’énergie, ça vise l’isolation des bâtiments, les transports en commun et tout une série de matières qu’elle a reprises dans ses conditions du plan de relance. L’Europe a aussi mis en place des achats groupés d’énergie, parce qu’on est plus fort ensemble. Pourquoi les prix sont hauts aujourd’hui ? Parce que chaque état membre y est allé de ses relations avec les autres pour acheter un maximum de gaz, pour faire un maximum de réserve pour l’hiver qui s’annonce et on regarde ce que Poutine a pris, ou va prendre, comme décision. Ce n’est pas cette attitude en ordre dispersé qui va diminuer le prix du gaz, puisque les producteurs de gaz nous voient arriver d’abord en ordre séparé et affolés par ce qui va nous arriver en hiver. Alors que l’Europe met en place une plateforme qui permet des achats d’énergie groupé, les pays européens font tout l’inverse. Une bonne partie du coût du gaz vient de là. C’est un élément important dans le prix de l’énergie aujourd’hui. L’Europe peut aller plus loin. Elle pourrait déterminer les critères à observer par les différents États membres, taxer les surprofits de toutes les compagnies énergétiques qui font des bénéfices plantureux au regard de la règle qui leur permet de facturer au plus haut les prix du gaz et de l’électricité qui sont combinés. L’Europe doit, et cela à plus long terme, aussi pouvoir réfléchir à modifier cette règle. Evidemment qu’il faut découpler le prix du gaz à celui de l’électricité. Mais de nouveau, c’est au niveau européen que cela doit se décider et surtout cela devra venir des 27 États membres. Quand on connaît la disparité au niveau énergétique, de source et de production, des pays européens – que tout oppose en la matière, que ce soit de manière philosophique, de leur mode de production, ou de leur dépendance à l’étranger – et bien bon courage à celui ou à ceux qui vont devoir mettre tous les membres d’accord par rapport à ce sujet quand la commission fera une proposition en la matière. Cette dernière, à qui on peut reprocher de ne pas avoir été assez rapide, ne vient pas comme ça avec une proposition sur la table sans l’avoir testé sur les grands pays européens. C’est pas anormal que la commission n’ait pas encore mis un certain nombre d’éléments sensibles sur la table car elle n’a pas encore perçu la capacité qu’ont les grands États à se mettre d’accord sur le sujet. Enfin, la commission doit encore intensifier, et le plan de relance doit y contribuer, à investir. Investir dans le renouvelable, car plus on en aura, plus on sera autonome. Mais aussi, investir dans des technologies d’avenir, et tout nous oppose avec les écologistes concernant le nucléaire, mais je pense que le nucléaire de nouvelle génération peut être une technologie sûre et d’avenir. Investir dans l’interconnection des différents membres, on voit encore quelques états qui sont trop dépendants de gaz étrangers. Il y a beaucoup à faire et on doit, dans les semaines qui viennent, prendre des décisions rapides qui doivent juguler le coût de l’énergie et dans les mois qui viennent, réfléchir à toutes les décisions qu’on doit prendre pour améliorer l’autonomie de l’Union Européenne et pour pouvoir faire en sorte que l’Union garantisse à sa population l’approvisionnement de l’énergie à un coût raisonnable. C’est vrai qu’elle peut être le moteur d’une décision tout en rappelant qu’il n’y pas de décisions qui se prennent sans que tous les pays membres soient d’accord, ce qui en matière d’énergie fait une difficulté.

 

Ce qui est intéressant, c’est que vous parlez de cohésion entre les 27 et en même temps certains  candidats politiques en Europe parlent d’une perte de la souveraineté de leur pays. Comment réagit-on par rapport à ces candidats ?

 

On a quasiment ça dans tous nos pays : une frange plus ou moins grande de frilosité par rapport à l’Union et un repli sur soi, c’est souvent l’extrême droite. C’est pour ça que je dis que cela aura un écho plus ou moins grand dans nos populations selon l’importance de l’aura et du score électoral de ces partis. Il faut démontrer le non-sens de ce repli sur soi et à l’inverse, démontrer l’intérêt de toutes décisions prises en commun.

 

 

 

Dernière petite question sur les masses migratoires. Comment est-ce qu’on pourrait harmoniser ces différentes réglementations ? Quelles sont les pistes pour harmoniser et améliorer les politiques migratoires en Europe ?

 

C’est un sujet dont on parle depuis des années. De nouveau, on regarde des crises liées à des pics de migrations. On n’a pas encore rénover la politique migratoire de l’Union Européenne parce qu’il est très compliqué de mettre d’accord les différents pays européens. Il y a des pays qui sont fermement opposés à la migration, je pense à la Hongrie en particulier, il y en qui conçoivent la migration comme un intérêt économique et d’autres qui voient de manière philosophique d’avoir une position médiane sur la migration. C’est-à-dire, on doit avoir notre part aux candidats à la migration tout en faisant en sorte que cela ne déséquilibre pas notre bien être global. Quand on voit les différentes perceptions en Europe, indépendamment du fait que certains pays aux frontières de l’Europe sont plus exposés que les autres aux conséquences de la migration, on mesure toute la difficulté. La commission réfléchit à modifier le règlement de Dublin qui a été mis en place pour faire en sorte que le premier pays concerné par la demande reste le pays concerné par celle-ci, puisqu’on refuse dans d’autres États membres des demandes d’installations, si on en effectue une dans le pays d’entrée. C’était une règle sur laquelle on pouvait trouver des points d’intérêts, mais c’est une règle qui complexifie tout le cheminement de l’immigration et qui a pour effet d’aucun court circuite le pays d’entrée afin de ne pas y rester. Donc, je pense dans le domaine qu’il faut à la fois réfléchir sur la solidarité, sur l’intérêt économique et faire en sorte qu’au prorata de sa population, chaque pays européen face cet effort de solidarité qui devrait être spontané à mes yeux, mais qui est loin de l’être au regard de ce qui se passe dans un certain nombre de pays.