Vols vides… on en parle?

Par Pierre de Saint Moulin

L’année 2021 fut mouvementée pour tout le monde et le secteur aérien ne fut pas épargné. Trop de pilotes malades, des réservations en chute libre – pardonnez cette expression –  et j’en passe. Les compagnies aériennes ont été touchées de plein fouet par la Covid-19.

En témoigne le Directeur général de Lufthansa, Carsten Spohr, qui annonçait fin d’année la suppression de 10 % des vols assurés par sa compagnie. Si cela ne tenait qu’à lui, il en aurait supprimé bien davantage, faute de demande. Mais il n’a pu s’y résoudre car la réglementation européenne prévoit que les « slots » attribués aux compagnies ne peuvent être conservés d’année en année qu’à condition d’en utiliser un certain pourcentage. Dès lors, afin de respecter cette obligation, c’est avec des avions vides ou presque que Lufthansa opérerait 18.000 vols pour ne pas perdre ses « slots ».

Une absurdité, que ce soit sur le plan économique ou écologique, qui n’a pas tardé à faire bondir notre ministre de la Mobilité, Georges Gilkinet (Écolo). Ayant déjà envoyé une lettre à la commissaire européenne du Transport en juillet dernier, car craintif qu’une telle situation puisse se produire, l’écologiste a repris la plume en ce début d’année afin de demander à la Commission européenne de revoir ces règles qu’il juge « inadaptées en temps de Covid ».

Mais qu’est-ce qu’un « slot » au juste ? 

Des compagnies vont-elles vraiment faire voler des avions à vide ? Et quel est l’objectif derrière cette mesure de l’Union européenne ? Tentons d’y voir plus clair.

Deux fois par an, les compagnies aériennes se voient attribuer un certain nombre de créneaux de décollage et d’atterrissage. Ce sont les «slots». Plus l’horaire du vol est pratique pour les passagers, plus le slot a de la valeur. Entre les compagnies, forcément, la concurrence est très rude.

Etant donné qu’il y a plus de demandes de vols que de slots disponibles, une règle a été fixée au niveau européen : les compagnies doivent utiliser au moins 80% de leurs slots – sous peine de les perdre pour la saison suivante.

Cependant, avec la crise sanitaire, les imprévus sont devenus la norme, et cette règle n’avait plus lieu d’être. En mars 2020, elle a donc été suspendue. Les compagnies ont par conséquent pu conserver leurs slots même si elles n’en utilisaient aucun. En mars 2021, la règle a été rétablie, mais le seuil de 80% abaissé à 50%.

Cet été, le seuil sera relevé à 64 %. C’est moins que 80%, mais cela reste conséquent, surtout pour une compagnie avec de grosses difficultés financières, qui doit tout de même desservir toutes ses destinations. Or, la demande est très différente sur l’ensemble d’un réseau international comme celui de Lufthansa.

Et justement, étant donné que la Covid perturbe encore le trafic, la Commission européenne va changer l’assouplissement à la règle des 80% pour la saison qui démarre en octobre prochain, et dont les négociations débuteront dans les prochaines semaines. Lufthansa a donc pour objectif de faire du bruit en amont, en annonçant faire voler 18 000 avions à vide sous contrainte de la réglementation européenne.

Le souci, c’est que Lufthansa est la seule compagnie à faire état d’une telle situation. Du côté de la concurrence, Ryanair a déclaré dans un communiqué qu’ils avaient demandé « à la Commission européenne d’ignorer les fausses déclarations de Lufthansa concernant l’exploitation de “vols fantômes” dans le seul but de “bloquer” leurs créneaux horaires et de se protéger de la concurrence des compagnies aériennes à bas prix ». Ryanair estime qu’il suffirait à Lufthansa de diminuer drastiquement le prix de ses billets afin de remplir ses vols.

Par ailleurs, chaque compagnie peut faire valoir, en cas de force majeure, une clause de non-utilisation des slots, une sorte de soupape de sécurité qui peut aller jusqu’à lever tout quota de vols. Selon un fonctionnaire de la Commission, l’activation de cette clause peut être demandée en cas de restrictions imposées par un État membre sur les voyages, ou d’autres mesures ayant un effet équivalent, dès lors qu’elles seraient justifiées par des raisons sanitaires, par exemple l’émergence d’Omicron. Il n’y aurait donc aucune nécessité d’opérer ces vols à vide. Les allégations de vols à vide de Lufthansa ont donc été logiquement réfutées par la Commission européenne.

Nous avons donc affaire à un gros coup de communication de la part de Lufthansa afin de mettre la pression sur la Commission. Un coup de communication qui consistait à outrer un maximum de personnes, et le moins qu’on puisse dire, c’est que cela a fonctionné.